mardi 7 mai 2013

Struthof-Natzweiler, l'unique camp de concentration français...voyage au bout de l'horreur...





Je n’avais pas dix ans lorsque je visitai le camp de concentration du Struthof-Natzweiler. Mon père avait pour habitude, pour les vacances scolaires de février, de nous emmener en Alsace. Il aimait ces Vosges vallonnées et boisées qui oxygénaient nos poumons de parisiens. Ce février-là, transie de froid et les pieds glacés dans des bottes en caoutchouc qui ne me protégeaient pas de la neige fondue, j’ai parcouru le seul camp de concentration français.

Vue des barraquements


Vue aerienne

Situé à une cinquantaine de kilomètres de Strasbourg, près de Schirmeck, dans la vallée de la Bruche, le camp du Struthof est commandé par le nazi Joseph Kramer.



Le commandant SS du camp,Joseph Kramer,ne manquait pas une exécution,et y assistait avec plaisir en fumant un gros cigare.

Le camp est dit de concentration et non d’extermination, parce que, même si une chambre à gaz et un four crématoire y furent installés en 1943, par le commandant du camp, Josef Kramer, à la demande des professeurs de médecine nazis de l’Université du Reich à Strasbourg afin de procéder à des expériences médicales, les déportés n’y étaient pas gazés de façon systématique et en masse.



La chambre à gaz aménagée en 1943 dans une petite pièce de 9 m² à l’intérieur de l’ancienne salle des fêtes de l’auberge du Struthof sera utilisée pour l’étude de nouveaux gaz.
Des déportés, principalement tziganes, y serviront de cobayes.

De station touristique à camp de concentration

En mai 1941, au lieu-dit le Struthof, qui était au début du XXème siècle, une station de villégiature appréciée des strasbourgeois pour son hôtel et ses pistes de ski, les nazis créent un camp de concentration dans l’Alsace annexée au Reich.
Dans ce camp central d’une nébuleuse de près de 70 camps annexes situés des deux côtés du Rhin, et l’un des plus meurtriers du système nazi, près de 22 000 déportés trouveront la mort.
Sous les coups administrés par les Kapos et les SS, mordus par les chiens, affamés et blessés, les déportés extrayaient les pierres de la carrière de granit située à 1 km du camp.



Plus tard affectés à des travaux de terrassement et d’aménagement de routes, ils mourront d’épuisement.

Pour le déporté arrivé en retard à l’appel ou qui a tenté de s’évader du kommando auquel il était affecté, c’est la condamnation aux coups de matraque sur le chevalet de bastonnade et l’enfermement dans le bunker, avec une soupe tous les 4 jours et l’impossibilité de s’étendre sur son dos endolori.



Reconstitution de bastonnade par un déporté à la libération du camp

Les déportés ayant tenté une évasion ou étant simplement soupçonnés de tentative d’évasion encouraient la peine de mort : la pendaison ou le peloton d’exécution.



Potence au Struthof

Le camp prévu pour 2000 détenus en contint jusqu’à 8000 à l’automne 1944.
Le taux de mortalité était de 40% et pouvait atteindre 80% dans les camps annexes.

L’abominable projet du professeur August Hirt

En novembre 1944, les troupes alliées découvrent à l’Institut d’anatomie de l’université de Strasbourg 86 corps atrocement mutilés, les corps de juifs gazés au camp du Struthof-Natzweiler. Une découverte qui va mettre à jour l’un des projets les plus inconcevables et les plus méconnus du régime nazi.
C’est ce que raconte le documentaire « Au nom de la race et de la science – Strasbourg 1941 – 1944 » réalisé par Sonia Rolley, Axel et Tancrède Ramonet et diffusé à une heure tardive par France 3 le 29 avril dernier.
La Reichsuniversität de Strasbourg, inaugurée le 23 novembre 1941, se devait d’être, comme l’université de Prague, une vitrine de la science nazie.
Basé sur une théorie raciste et antisémite, le nazisme se devait de trouver une caution dans des travaux pseudo-scientifiques menés par d’imminents professeurs acquis à ses idées.
August Hirt, professeur d’anatomie de renommée internationale, Otto Bickenbach, professeur de médecine, spécialiste des gaz de combat et Eugen Haagen, virologiste, découvreur d’un vaccin contre le typhus qui lui valut d’être inscrit sur la liste des candidats au prix Nobel de médecine en 1936, répondaient parfaitement aux critères.
Au camp du Struthof-Natzweiler, plusieurs séries d’expériences « médicales » sont menées par ces sinistres chercheurs dans le cadre des travaux de la Reichsuniversität de Strasbourg et de l’Ahnenerbe («Héritage des ancêtres »), sorte de centre de recherches de la SS, rattaché à l’Etat-Major d’Himmler à Berlin, chargé de prouver la supériorité de la race aryenne.



Professeur August Hirt

Fanatique et ambitieux, August Hirt, 43 ans, d’origine suisse mais né en Allemagne à Mannheim, est membre de la SS depuis 1933 où il atteindra le grade de commandant.



August Hirt posant à sa table de dissection

Hirt procède à des expériences sur l’ypérite – gaz moutarde – Haagen poursuit ses travaux sur les effets du typhus et Bickenbach mène des expérimentations sur le gaz phosgène.



Eugen Haagen, professeur nazi des expériences médicales au KL-Natzweiler



Professeur Otto Bickenback 1901-1971, responsable de la section médecine de l’Institut de recherche de l’Université du Reich de Strasbourg, il mène une série d’expériences sur le phosgène au KL-Natzweiler


Robert Steegmann, rescapé et devenu professeur agrégé et docteur en histoire, témoigne :
« Au bout de dix minutes environ, j’ai entendu un bruit sourd – comme si on frappait des mains – C’était les poumons de deux détenus qui tournaient autour du ventilateur qui avaient « éclaté » et par leur bouche sortait une écume brunâtre, de même que par leurs oreilles et leurs nez ».



Table de dissection

Le 2 novembre 1942, Hirt écrit à Himmler, afin d’obtenir 150 squelettes de juifs pour un projet de      collection anatomique. Sa requête est acceptée. Dans un premier temps, Hirt ambitionne précisément de collectionner des « crânes de commissaires bolcheviques juifs ».
En juin 1943, l’anthropologue de l’Ahnenerbe, Bruno Beger, qui a effectué des expéditions au Tibet sur les traces supposées des origines aryennes, est chargé de « sélectionner » une centaine de personnes à Auschwitz, afin qu’elles soient tuées en Alsace.



Bruno Beger et Heinrich Himmler

August Hirt veut conserver, pour l’étudier, la trace du peuple dont il est convaincu qu’il est responsable de tous les malheurs du monde et que le nazisme va définitivement éradiquer de la surface de la terre.
Ce sont 87 personnes qui sont donc amenées entre le 11  et le 19 août 1943 au Struthof.
Une femme s’étant rebellée au moment d’être conduite à la chambre à gaz, et ayant été tuée par balles, les 86 autres personnes sont asphyxiées au zyklon B, en quatre groupes.
Les corps sont transférés à l’institut d’anatomie aussitôt après leurs décès. « Les yeux étaient encore ouverts et brillants », dira un employé. Ils sont traités par des injections artérielles de formol et placés dans des cuves emplies d’alcool éthylique.
Curieusement, Hirt n’y touchera pas.
Au cours de ce même mois un convoi de femmes juives a été gazé et les corps martyrisés ont servi à d’ignobles expérimentations anatomiques.
De plus, dans la nuit du 1er au 2 septembre 1944, 106 membres du réseau de résistance « Alliance » sont exécutés d’une balle dans la nuque.
Le 1er décembre 44, les 86 corps (17 cadavres entiers et 166 segments) sont découverts dans les cuves par les alliés. Des autopsies sont pratiquées. Quelques semaines plus tôt, Hirt avait demandé qu’ils soient rendus méconnaissables, et notamment que les têtes et les tatouages du bras gauche soient enlevés. Mais ces matricules avaient été relevés par un assistant, ce qui permettra leur identification.
Hirt aurait gardé pour lui les dents en or.



Four crématoire au Struthof

Le 2 juin 1945, Hirt se suicide dans la Forêt-Noire, en se tirant une balle dans la tête.
Himmler avait avalé du poison peu avant.
Wolfram Heinrich Friedrich Sievers, un des directeurs de l’organisation nazie Ahnenerbe, le centre de recherche sur la supériorité de la race aryenne, est exécuté le 2 juin 1948.
En revanche, Bruno Beger, qui assura ne pas connaître le sort des personnes qu’il avait sélectionnées, vivra jusqu’à ses 98 ans et rencontrera à plusieurs reprises le 14ème Dalaï-Lama.
Et Otto Bickenback, d’abord condamné le 24 décembre 1952 par le tribunal militaire de Metz aux travaux forcés à perpétuité, puis à Lyon le 15 mai 1954, à vingt ans de travaux forcés, sera amnistié dès 1955.
Joseph Kramer fait prisonnier par les Britanniques à Bergen-Belsen, camp de concentration dont il a assuré le commandement après l’évacuation du Struthof, est condamné à mort et pendu à Lunebourg, en 1945.
Le 23 octobre 1945, les corps des 86 victimes sont enterrés à Strasbourg-Robertsau. Ils ont ensuite été transférés en 1951 au cimetière de Strasbourg-Cronenbourg.

 

La plaque apposée sur l’institut d’anatomie de Strasbourg.

Quelques données et quelques chiffres…

Le camp s’étend sur  4,5 hectares et se trouve à 800 mètres d’altitude.
En été, les températures sont élevées et il n’y a pas d’ombre.
En  automne, les pluies sont  fréquentes et le brouillard est dense.
En  hiver, le vent est glacial et la température descend entre – 10° et – 20°, avec  1m50 de neige.
Les déportés sont de plus de 30 nationalités.
Ils seront plus de 52 000, camp central et camps annexes confondus.
Ils seront plus de 22 000 à y mourir.
L’effectif normal du camp central est de 2 000 déportés, mais atteindra 8 000 en période d’affluence.
L’effectif par baraque est entre 150 et 250 déportés, mais atteindra 650 à 750 en période d’affluence.
La durée de survie est en moyenne de 1 à 6 mois.
Le plus jeune déporté immatriculé au camp n’avait que 11 ans et le plus âgé en avait 78.
L’âge moyen est de 20 ans.
La tenue des déportés consiste en une chemise, un pantalon, une veste et une paire de claquettes en bois. Il s’agit souvent de pyjamas rayés ou alors de vieux vêtements civils en provenance d’autres camps.
L’alimentation consiste en une louche d’ersatz de café le matin, une fine tranche de pain noir et  une fine tranche de saucisson dans la matinée sur les lieux de travail, une soupe de rutabaga ou de choux le midi et le soir un bout de pain noir avec une fois par semaine 50g de marmelade.

Transmission et devoir de mémoire

Je n’avais pas dix ans quand j’ai vu la potence, le chevalet de bastonnade, la table de dissection, la chambre à gaz et le four crématoire.
Quand j’ai monté et descendu les marches du camp agrippé sur le Mont-Louise.
Quand j’ai parcouru le chemin emprunté par les condamnés.
Quand j’ai regardé les photographies insoutenables présentées dans le musée.
Quand j’ai imaginé les souffrances, la peur, le froid et le désespoir.
Emmitouflée dans mon manteau et les pieds dans mes bottes, je me suis imaginée en pyjama rayé et en sabots.
L’émotion et le froid ont eu raison de moi et il a fallu que l’on me conduise à l’accueil pour me réchauffer auprès de la cheminée du gardien du camp (inoffensif celui-là !).
Depuis ce jour, et encore aujourd’hui, je culpabilise chaque fois que je dis que j’ai froid ou faim.
En 1999, j’ai emmené mes fils au Struthof, ils avaient 13 et 14 ans.
Je ne m’attendais pas à les voir manifester autant d’intérêt à cette visite, à tel point qu’il me fallut les convaincre de partir.
Il y a quelques mois, ils m’ont accompagnée avec enthousiasme au Camp des Milles, près de Marseille, seul grand camp français d’internement et de déportation encore intact et accessible au public depuis son inauguration le 10 septembre 2012.
Pas besoin d’aller jusqu’à Auschwitz, allez visiter le Struthof et le Camp des Milles et soutenez ceux qui œuvrent en France pour le devoir de mémoire. Merci pour eux.
« Si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons. » Paul Eluard