vendredi 21 juin 2013

Interview de Naftali Bennett, l’homme aux multiples casquettes



Difficile d’apprécier quel est le succès le plus marquant du ministre de l’Économie et du Commerce Naftali Bennett. La vente de son entreprise de sécurité en ligne pour 145 millions de dollars en décembre 2005 ? L’obtention des suffrages de laïques telaviviens pour faire gagner 12 sièges au parti sioniste religieux HaBayit HaYehoudi qui, sans lui, n’aurait pas dépassé le seuil électoral en janvier 2013 ? Sans doute sa démarche politique ingénieuse, qui lui a permis de devenir un ministre de haut rang dans le gouvernement Netanyahou. Pourtant, ce dernier ne cachait pas son aversion pour son ancien chef de cabinet et aurait certainement préféré le voir exclu du gouvernement.


Mais la meilleure performance de Bennett est peut-être encore à venir. Dans le gouvernement de Netanyahou, il détient trois portefeuilles, sans liens apparents les uns avec les autres, qui traitent de questions qui lui tiennent toutes autant à coeur. L’homme à la kippa crochetée a maintenant plusieurs casquettes.
Il est déterminé à utiliser l’ex-ministère de l’Industrie, du Commerce et du Travail qu’il dirige pour réduire le coût de la vie, le ministère des Affaires religieuses pour rendre le judaïsme plus attrayant aux yeux des Israéliens laïcs et le ministère des Affaires de la diaspora pour lutter contre l’assimilation dans le monde entier. Des objectifs fort ambitieux pour un seul homme. Mais Bennett est résolu, confiant, énergique et influent. Le premier ministre ne pouvait pas construire une coalition sans lui, et à moins d’un revirement de la part d’un ou deux chefs de parti, le gouvernement de Netanyahou s’effondrerait sans lui.
Dans une interview depuis son bureau à la Knesset, Naftali Bennett aborde une foule de sujets. Et c’est peut-être sa performance la plus remarquable entre toutes.
 


Quel est votre regard sur l’année qui vient de s’écouler ?
Cela a été une année passionnante. Mon idée de créer une passerelle entre tous les membres de la société israélienne se met en place. En partie du fait de la structure du gouvernement, je suis très optimiste quant à son aboutissement. 70 % des Israéliens sont d’accord sur 70 % des problèmes. Mais le pays a trop longtemps insisté sur les 30 % qui nous divisent, comme les conflits religieux et la question palestinienne. Nous avons levé l’accent mis sur ces questions et nous sommes concentrés sur les points qui rassemblent : le souhait de devenir un Etat plus juif, l’ouverture de l’économie et la nécessité de réduire les clivages de la société.
Par exemple, le compromis proposé par [le président de l’Agence juive Natan] Sharansky avec les Femmes du mur aurait fait l’objet d’une lutte sans fin dans un autre gouvernement. Mais j’estime que c’est un compromis raisonnable : personne n’est totalement satisfait, mais tout le monde peut vivre avec. Ce gouvernement prône la résolution des conflits et la diminution des sentiments de haine. C’est un bon gouvernement et je suis heureux d’en faire partie.
 

Pensez-vous que, si des solutions ont été trouvées, c’est parce que vous avez tenu les ultraorthodoxes à l’écart du gouvernement ?
Ma contribution a été de parvenir à un compromis entre Netanyahou et [le leader de Yesh Atid Yaïr] Lapid afin d’établir un programme qui a permis la formation du gouvernement.
Je n’ai jamais mis mon veto à aucun parti légitime, et ne suis pas prêt à le faire. Les efforts que j’entreprends pour permettre l’accès d’un plus grand nombre de harédim sur le marché du travail ne sont possibles qu’en raison de la composition du gouvernement. De même la révolution dans les affaires religieuses à laquelle je me suis attelé. Des années de monopole religieux ultraorthodoxe ont éloigné les laïcs du judaïsme. Nous allons changer cela. Nous allons laisser les gens choisir les rabbins qu’ils souhaitent pour les marier et accueillerons les convertis à bras ouverts. Sur tous les fronts, c’est un gouvernement révolutionnaire.
 

Vous avez déclaré, au cours d’une conférence économique la semaine dernière, que vous aviez seulement deux ans pour atteindre vos objectifs. Qu’entendez-vous par là ?
La politique israélienne fonctionne de telle sorte que les changements ne peuvent intervenir que durant la première moitié du mandat gouvernemental. La seconde moitié est trop souvent consacrée à la préparation des prochaines élections, qui peuvent intervenir à tout moment.

Il y a eu des rapports conflictuels entre vous et Lapid sur des questions clés. Êtes-vous déçu de ces relations de quelque façon que ce soit ?
Yaïr et moi sommes en désaccord sur beaucoup de choses : la terre d’Israël, les négociations avec les Palestiniens, la religion et l’État, etc. Mais il y a une relation de confiance entre nous. Notre parole est ce qui nous lie. Il y aura des déceptions. Aucun de nous n’obtiendra tout ce qu’il veut, mais, en attendant, nous sommes en train de changer la société israélienne. Nous amenons les Israéliens à réaliser qu’il nous faut faire des compromis pour pouvoir nous entendre ici. La lutte n’est plus de mise dans notre pays.
 
Êtes-vous déçu par le budget de Lapid ?
La réalité est que nous avons hérité d’un déficit budgétaire important. Il nous faut pourtant bien faire tourner la boutique.
Nous pouvons réduire le budget de la Défense, car il n’existe actuellement aucune menace militaire conventionnelle.
Aucun char ne menace nos frontières, nous n’avons pas besoin de tant de divisions de blindés. Le problème d’Israël, c’est que le revenu de l’Etat est proportionnel à la taille du pays, mais le budget de la Défense est proportionnel à la taille des menaces qui pèsent sur le pays.
 


Quelles ont été vos priorités en matière budgétaire ?
Encourager l’emploi des harédim est très important pour moi, et c’est dans le budget. Je considère que c’est une urgence nationale qui n’est pas sans rappeler l’arrivée d’un million d’immigrants en provenance de Russie dans les années 1990. 30 % des élèves de CP sont issus de familles ultraorthodoxes, ce qui est bien, mais s’ils ne travaillent pas, c’est un problème. Je me suis fait descendre dans la presse ultraorthodoxe, mais quand j’ai effectué une visite surprise à Bnei Brak, j’ai constaté que c’est une population qui veut travailler. J’ai un plan audacieux qui devrait permettre à 30 000 harédim d’entrer dans la vie active, avec une formation continue en anglais et en maths pour les mettre au niveau des épreuves de fin d’études secondaires. Les réactions des entreprises qui emploient des harédim sont excellentes. Tout cela doit se faire sans haine, mais au contraire avec chaleur.
Nous ne devons pas être leurs ennemis. De mon point de vue, les amener à travailler est bien plus important que de les amener à servir dans l’armée.

Qu’allez-vous faire pour améliorer la situation économique ?
La vie est trop chère en Israël. Les entreprises étranglent les consommateurs. Mon comité ministériel sur le coût de la vie a les pleins pouvoirs pour travailler à changer cela. Seul le Premier ministre peut faire appel de ses décisions. Tout ne doit pas reposer sur le fait qu’il faut avoir des relations pour pouvoir s’en sortir. Par exemple, les travailleurs du port d’Ashdod gagnent jusqu’à 60 000 ou 70 000 shekels par mois, et, si quelqu’un essaye de changer à leurs privilèges, ils déclenchent une grève et l’on cède. Nous allons ouvrir les ports comme nous l’avons fait avec la réforme « ciel ouvert », qui va réduire le coût des billets d’avion de 30 à 40 % et permettre à des millions de touristes de visiter le pays à un prix désormais abordable. Vous me connaissez. Je ne suis pas contre les hommes d’affaires qui réussissent. La différence entre un entrepreneur et un magnat est qu’un entrepreneur crée des emplois. Les magnats sont des manipulateurs qui se remplissent les poches et font obstacle au progrès. Nous allons faire tomber ces barrières.
Je vais aussi m’employer à réduire la bureaucratie. Il faut 212 jours en Israël pour faire approuver un plan de construction contre seulement 140 en Syrie. Mon équipe tente d’identifier les freins et d’y mettre un terme. Par exemple, les taxes d’importation sur les détergents, les lunettes de soleil, les chaussures. C’est peut-être une goutte d’eau, mais ma théorie est qu’il n’y a rien de trop petit qui ne vaille la peine de lutter pour. Cela me dérange qu’il soit plus facile de vivre en Amérique et que certains de mes amis du high-tech soient restés là-bas. Cela va à l’encontre de l’idée du sionisme que de rendre la vie trop difficile en Israël.

Vous gérez également le ministre des Affaires de la diaspora et celui des Affaires religieuses. Comment appréhendez-vous la question du Mur occidental si chère aux yeux des juifs de la diaspora ?
À l’heure où je vous parle, je travaille sur un compromis.
Jusqu’à la décision du tribunal le mois dernier, les Femmes du Mur n’étaient pas autorisées à faire quatre choses qui commencent par la lettre T : Tefila bekol ram [prier à haute voix], lire la Torah (dans un Sefer), porter un Talith (châle de prière) et mettre les Tefiline (phylactères). J’ai proposé qu’elles en aient deux pour l’instant, Tefila et Talith, jusqu’à ce que la troisième section du Kotel prévue dans l’accord de Sharansky soit prête. Sans cet accord conclu avec elles, il y aurait eu des émeutes vendredi [Roch Hodech Sivan]. J’ai dit aux Femmes du Mur que je ne cherchais pas à me battre, que je faisais preuve de bonne volonté énorme. Les gens en Israël ne comprennent pas suffisamment l’impact négatif sur notre image qu’a le fait d’empêcher les femmes de prier. Ces incidents reçoivent une abondante couverture médiatique et nuisent à notre image auprès des juifs du monde entier. On va jusqu’à nous comparer à l’Iran.
 


Quels sont vos objectifs en tant que ministre des Affaires de la diaspora ?
Nous sommes juste en train d’obtenir l’approbation du gouvernement sur la question des salaires, afin de permettre au ministère de se mettre au travail. Je pense que c’est une catastrophe que nous perdions tant de juifs par le biais d’une assimilation sans précédent. Israël est en passe de devenir la plus grande communauté juive dans le monde, pour la première fois depuis l’exil de Babylone. Je vois cela comme une mission nationale pour Israël de sauver le peuple juif de l’assimilation. Jusqu’à une période récente, Israël considérait les juifs de la diaspora comme une source de revenus ou comme des candidats à l’aliya. Ça suffit ! Nous n’avons plus besoin qu’on nous fasse la charité. C’est à notre tour d’aider les juifs à travers le monde.
Tout d’abord, je vais m’assurer qu’il n’y aura pas de coupes budgétaires pour Birthright Israël et Masa. Leurs budgets seront même revus légèrement à la hausse, ce qui constitue un miracle en ce moment. Des études ont montré qu’il y a 40 % de moins d’assimilation parmi ceux venus en Israël avec Birthright. On peut tout à fait être juif à Saint-Louis, Buenos Aires ou en Lettonie. Tous les juifs ne doivent pas forcément faire leur aliya, mais nous voulons qu’ils restent juifs.
 


Qu’en est-il de l’inégalité des courants religieux et de l’absence de mariage civil qui dissuadent de nombreux juifs de la diaspora de rejoindre Israël ?
Nous allons traiter toutes ces questions une par une et entamer des discussions, afin de trouver un équilibre entre l’identité juive d’Israël et les besoins de la diaspora. Israël est le pays des juifs du monde entier. Ils ont aussi leur mot à dire, mais ce sont des questions compliquées.
Est-ce que votre partenariat avec le parti sioniste religieux Tekouma, contrôlé par des rabbins de droite, rend de telles choses plus difficiles ?
Je pense au contraire que c’est un groupe fantastique. C’est le plus harmonieux et le plus dévoué de la Knesset. Nous sommes d’accord sur les questions relatives à la Terre d’Israël et sommes parvenus à un consensus au sujet du Grand Rabbinat. Nous avons été élus pour prendre des décisions à la Knesset. Nous allons consulter pour cela des rabbins, des hommes d’affaires et des experts de la sécurité. J’écoute les rabbins et je les respecte, mais c’est à nous de prendre les décisions.
On a parlé d’un gel officieux des implantations. Votre collègue de Tekouma, le ministre de la Construction et du Logement Ouri Ariel, aurait soumis certains appels d’offres à Netanyahou qu’il aurait refusé de signer. Par ailleurs, il n’y a pas eu de réunions des conseils de planification de Jérusalem. Y a-t-il un gel à Jérusalem également ?
Nous ne laisserons pas ce gouvernement bloquer les constructions pour les juifs dans n’importe quelle partie d’Israël. L’ancien président américain Teddy Roosevelt disait qu’il fallait parler doucement en tenant un gros bâton. Nous avons un gros bâton et nous nous en servons tout en parlant doucement. Comment un gouvernement israélien peut-il geler les constructions à Jérusalem ? Nous allons construire à Jérusalem. Le plan saoudien et le plan Clinton proposent de diviser Jérusalem. Ceux qui soutiennent ces plans doivent prendre en considération le Kotel, le mont des Oliviers, et la ville de David. Où se situera la capitale palestinienne ?

Comment cela a-t-il été reçu quand vous avez tenté de dire à des personnalités internationales qu’un Etat palestinien n’est pas inévitable ?
Au cours de ces derniers mois, j’ai rencontré de nombreux ministres et diplomates étrangers. J’ai été surpris de constater que personne n’ose plaider à l’encontre d’un Etat palestinien. Et après on s’étonne quand le monde veut introduire un Etat palestinien en plein coeur d’Israël. J’ai un long chemin à parcourir pour convaincre l’opinion publique israélienne de chercher des alternatives. Et il existe de nombreuses alternatives. Si vous vous cognez la tête contre les murs pendant 20 ans et que tout ce que vous obtenez ce sont des milliers de morts, n’est-il pas logique d’essayer autre chose ? Le ministère de l’Économie et du Commerce est l’ambassadeur économique d’Israël, avec des bureaux commerciaux dans le monde entier. Ceux que rencontrent nos représentants dans ces bureaux commerciaux se moquent complètement du conflit. Cela ne fait pas partie de leurs priorités. La véritable histoire du conflit, c’est que c’est une non-histoire.
Yesh Atid n’a pas cautionné vos efforts pour initier une loi fondamentale en vue d’un référendum sur l’abandon des terres. Cela vous a porté un coup. Y a-t-il cependant encore un espoir de voir passer cette loi ?
J’espère que nous réussirons à la faire passer. La nécessité d’un référendum s’inscrit dans notre objectif de minimiser les conflits à l’intérieur de la société israélienne et du gouvernement. On peut ne pas être d’accord mais aussi vivre avec. Pour moi, ce serait une catastrophe d’avoir un état palestinien en plein coeur d’Israël, tandis que d’autres partis de la coalition y sont favorables. Un référendum permettrait de régler ce problème.
 

La situation sécuritaire semble s’aggraver en Judée- Samarie. Comment comptez-vous faire face à cela ?
On assiste à une dégradation significative de la sécurité pour les juifs de Judée-Samarie, notamment avec les jets de pierres sur les voitures. J’ai conçu un plan soumis au ministère de la Défense et à Tsahal. Je veux modifier les règles qui permettent d’ouvrir le feu en cas d’attaque. À l’heure actuelle, les gens ne peuvent pas se défendre. Je veux que toute personne en danger soit en mesure de se défendre. Les jets de pierres peuvent être meurtriers. Dans les zones de conflit, il devrait y avoir plus de forces de sécurité, plus de points de contrôle et de plus nombreuses opérations menées dans les villes arabes. Ce qui se passe n’est pas simplement une violation de la sécurité. C’est du terrorisme.
Comment gérez-vous la situation avec les Bédouins ?
C’est une bombe à retardement que nous pouvons neutraliser. C’est une question difficile qui appelle à un compromis. Ils sont répartis illégalement dans tout le Néguev. Mais ce sont des êtres humains. Ils ne peuvent pas vivre sur une autre planète. Ils vivront dans les communautés construites pour eux. Ceux qui ont des revendications légitimes recevront leur part de terre. Mais nous ne laisserons pas le Néguev devenir un territoire hors-la-loi. On ne peut plus laisser de voiture une heure dans le Néguev aujourd’hui [sans crainte de se la faire voler]. Il faut conclure un accord pour veiller à ce que la loi soit appliquée.
Quelle est pour vous la limite à ne pas franchir à propos de l’Iran ? Israël aurait-il déjà dû bombarder la République islamique ?
Netanyahou a réalisé des avancées sans précédent pour persuader le monde d’imposer des sanctions. Les sanctions progressent. Mais l’Iran va de l’avant. Téhéran a accéléré le rythme de l’enrichissement d’uranium et déplacé les centrifugeuses vers des installations souterraines. On ne fait pas ça si on n’est pas en train de fabriquer une arme nucléaire. En aucun cas nous ne pouvons accepter la bombe iranienne. En aucun cas nous ne pouvons confier notre sécurité à d’autres. Ce serait bien si [l’Amérique] s’occupait de la situation. Mais nous ne sommes pas venus ici fonder un Etat juif pour compter sur les autres. Je soutiens Netanyahou et sa « ligne rouge ».

Source JerusalemPost