mardi 11 juin 2013

Yoram Kaniuk est mort : la Shoah était au cœur de son œuvre



A la vie, à la mort (Fayard, 2011) racontait quelques semaines qu’il avait passées dans le coma. Dans ce récit étourdissant, Yoram Kaniuk réanimait les personnages de ses précédents livres et tirait, discrètement, le bilan de ses espoirs politiques déçus. Il y affirmait avoir été ramené à la vie par la persévérance de sa femme, Miranda, et par les prouesses de médecins qui ne cessaient de lui répéter “Yoram, réveille toi”.

Le Monde : "L’écrivain israélien est mort des suites d’un cancer le 8 juin, à Tel-Aviv. Il avait 83 ans. L’existence de celui qui était devenu l’un des plus grands auteurs de son pays est étroitement liée l’histoire de celui-ci. Yoram Kaniuk naît le 2 mai 1930, à Tel-Aviv, de parents arrivés en Palestine en 1909. Nourri de culture européenne, notamment allemande, il côtoie dans son enfance tout ce que la ville compte d’artistes : après avoir été le secrétaire particulier du premier maire de la cité, son père est devenu le conservateur de son Musée d’art – le petit garçon aura à peine le temps de connaître son parrain, le très grand poète Haïm Nahman Bialik.
En 1948, Yoram Kaniuk est engagé volontaire dans la guerre d’Indépendance, membre des commandos d’élite du Palmach. Paru en France à l’automne dernier, 1948 (Fayard), revenait sur cette expérience, roman écrit par un homme au soir de sa vie, qui cherchait à retrouver ses yeux de jeune homme face à la violence infernale des combats, son incompréhension devant une action militaire dont il ne saisissait pas la cohérence, et à peine la finalité.



Après un détour par Paris, il s’installe, au tournant des années 1950, à New York. Là-bas, il accumule les petits boulots et peint, jusqu’à ce que se révèle sa vocation d’écrivain, ainsi qu’il le racontera dans Ma vie en Amérique (Fayard, 2005), évocation menée au rythme d’une improvisation de jazz de la New York des “fifties”, où l’on croise, avec l’auteur, Marlon Brando, Stanley Kubrick, Ginger Rogers, James Dean, Charlie Parker ou encore Billie Holiday.
En 1960, son premier roman (non traduit en français) paraît, qui évoque les tentatives d’un narrateur pour se tenir à distance de son pays et de sa famille… Deux ans plus tard, Yoram Kaniuk, sa femme et leur fille sont de retour en Israël. Il s’attèle pour de bon à la construction de son œuvre, novatrice, et traduite en quatorze langues.
Refusant la narration classique, son écriture est tortueuse, marquée au sceau du fantastique, mais aussi d’un mélange d’ironie grinçante et de tendresse retenue. Ses thèmes de prédilection : le caractère destructeur de l’amour (Encore une histoire d’amour, Fayard, 1998) ; les liens familiaux et leur toxicité (Mes chers disparus, Fayard, 1997)… Mais son véritable sujet est l’histoire juive ; en 2010, il raconte au Monde comment, après la guerre d’indépendance, embarqué sur un bateau à destination de l’Europe pour soigner une blessure à la jambe, il a rencontré à bord des rescapés des camps d’extermination. “En les écoutant, je suis devenu un écrivain juif. Le sujet de tous mes livres, ce sont les juifs et non la société israélienne ; j’écris sur la blessure, pas sur la consolation.” La Shoah est ainsi au cœur de son œuvre, d’Adam resuscité (Stock, 1980) au Dernier des juifs (Fayard, 2010), en passant par Il commanda l’Exodus (Fayard, 2000, prix Méditerranée Etranger).
Aussi admiré que contesté dans son pays, militant désabusé pour la paix entre Israéliens et Palestiniens, il mène, à plus de 80 ans, un combat pour que cesse d’être mentionnée sa religion sur sa carte d’identié. Au Monde, en 2011, il explique avoir “toujours aimé la religion juive comme une mémoire, une culture, une histoire”, mais ne pas croire en Dieu – et vouloir empêcher la démocratie qu’est Israël de devenir un état théocratique. En 2011, il obtient gain de cause. Yoram Kaniuk croit si peu au ciel qu’il a décidé de léguer son corps à la science, rappelle le journal israélien Haaretz, qui cite ses propos à ce sujet : “Dans mon esprit, je gagne ainsi quelques années ; et, tout comme ce fut le cas pour Moïse, personne ne saura où je serai enterré, puisque j’aurai fait en sorte qu’un tel lieu n’existe pas. Et, de cela, mes descendants tireront profit.”

Source Le Monde