mardi 8 août 2017

Israël, terre promise pour les végans

 
Alors que la tendance progresse timidement en Europe, en Israël le véganisme explose. On y retrouve désormais des options dans tous les restaurants, sans parler de ceux qui sont à 100 % végans. Reportage en terre promise pour ceux qui ont renoncé à la viande.....Détails.......


 
En cette matinée grise d’octobre 2012, une odeur de chair brûlée se fait sentir sur la place Rabin à Tel-Aviv.
Au centre de la grande esplanade devant la mairie, un homme à demi-nu, entre deux molosses cagoulés, vient de se faire marquer au fer rouge, sous le regard horrifié des passants.
Son avant-bras mutilé par le métal, l’homme est jeté à terre puis enchaîné. Sur sa peau, trois chiffres : 2-6-9.
Allongé sur les pavés, le visage hagard, Sasha Boojor, 29 ans à l’époque, vient de lancer officiellement son mouvement 269 Life, qui exige la libération « inconditionnelle de tous les animaux ». Quelques semaines plus tôt, accompagné d’un groupe d’activistes, il avait sauvé in extremis de l’abattoir un veau qui portait à l’oreille le numéro  269. Il deviendra, plus qu’une mascotte, le symbole de l’exploitation animale.
Sur le site de l’organisation, un manifeste accueille les internautes avec ces mots : « Il n’existe pas de cage assez grande, de lame assez bien aiguisée pour justifier l’exploitation industrielle des animaux […].
La manière dont notre espèce traite les animaux prouve la complète contradiction avec la manière dont nous nous percevons, comme entité d’une société progressiste, juste et morale ».

Du véganisme au militantisme

« Je suis végan depuis quinze ans, affirme Sasha, cela signifie que je ne mange aucun animal ni aucun produit issu de l’exploitation animale, c’est-à-dire pas de viande ni de poisson, pas de lait, d’œufs, de miel et que je ne porte pas de cuir ».
Né en Moldavie en 1983, Sasha s’est installé avec ses parents en Israël en 1986. Sensible à la cause animale depuis son adolescence, il décide de changer son régime alimentaire, devient militant puis passe à la vitesse supérieure : « Les formes classiques de militantisme m’ont déçu : distribuer des flyers, faire preuve de pédagogie et devoir presque m’en excuser ne me convenait pas, j’avais besoin d’une méthode plus créative, plus impactante ».
Le jeune homme cherche à choquer, à « utiliser sur les humains la violence faite aux animaux ».

Distribution de poussins morts

Les expéditions pour libérer des animaux vont se multiplier pour les activistes de 269 Life, entrecoupées d’actions en ville : distribution de poussins morts et projection de faux sang sur les bureaux des employés d’une ferme avicole ou diffusion de sons enregistrés dans des abattoirs au milieu d’un centre commercial bondé.
Depuis le lancement de 269 Life, des dizaines d’opérations chocs ont participé au développement du groupe désormais présent dans une vingtaine de pays, dont la France.
Cinq ans plus tard, dans le jardin de sa maison transformé en refuge où cohabitent une poignée d’ânes, de chèvres et de lapins, Sasha fait le bilan : « Lorsqu’on a commencé, c’était le niveau zéro ; aujourd’hui, les végétariens sont de plus en plus nombreux, près d’un demi-million rien qu’en Israël, et le véganisme explose.
On trouve des options dans tous les restaurants, sans parler de ceux qui sont à 100 % végans. Les supermarchés regorgent de substituts à la viande, du tofu (pâte de soja) au seitan (protéine de blé), en passant par les galettes végétales, ça facilite les choses ».

Un combat usant

Conscient de l’impact qu’a pu avoir son mouvement sur l’explosion du véganisme dans le pays, il confie cependant être usé par le combat : « J’ai donné depuis cinq  ans d’innombrables heures, des litres de sueur et énormément d’argent ; aujourd’hui, j’ai envie d’ailleurs, d’Europe peut-être, pour continuer mon engagement ».
Souvent décrié pour son extrémisme et sa violence, Sasha justifie le caractère « nécessaire » de son action :
« Je me suis inspiré des suffragettes et des Afro-Américains. Je suis convaincu que l’extrémisme est nécessaire. Prenez Martin Luther King, qui représentait le canal “officiel”, non violent, de la lutte pour les droits civiques des Noirs américains.
Dans le même temps, il y avait Malcolm X, dans un style plus violent. L’existence de ces deux franges a permis de faire avancer les choses. C’est pareil pour notre cause ».

Passer le relais

Heureusement pour Sasha, d’autres ont pris le relais pour promouvoir le véganisme en Terre sainte. On compte pas moins de six groupes qui agissent au quotidien.
Parmi eux, Animal Liberation Front (ALF), incarné par l’infatigable Tal Gilboa. La blonde décolorée de 39  ans, couverte de tatouages, porte le marcel comme personne. Elle œuvre aux côtés de Sasha dès 2012 avant de rejoindre ALF, un mouvement créé au Royaume-Uni en 1979, qui vient juste de s’implanter en Israël.
Son militantisme s’oriente du côté des abattoirs, qu’elle visite, filme et photographie sans relâche pour rendre public ce qui se passe « derrière les murs opaques de ces machines de la mort ».

Porter le combat sur les écrans

Mais c’est à l’été 2014 que son combat prend une nouvelle dimension : Tal confie ses trois filles à son mari et intègre l’émission de téléréalité “Big Brother”. Elle sera enfermée avec une dizaine d’autres participants, trois mois durant, dans une maison filmée 24 heures sur 24. A l’époque, une guerre intense éclate entre Israël et la bande de Gaza.
L’émission, qui bat des records d’audience, sera la seule à ne pas être déprogrammée, trouvant sa place entre deux éditions spéciales des chaînes d’info en continu.
« J’avais trouvé le moyen le plus efficace de diffuser mes idées à tout un pays », confie Tal. Son pari a fonctionné : trois mois et demi de véganisme en prime time ont provoqué un déclic chez des milliers de personnes. Elle quitte la maison victorieuse, avec un chèque d’un million de shekels en poche (environ 213 000 euros).
Tal Gilboa va énerver, choquer mais surtout interroger. Souvent dépeinte à raison comme provocante et agressive, elle compare l’exploitation animale à la Shoah :
« L’holocauste animal est bien plus grand que l’Holocauste contre les Juifs et, surtout, il est sans fin », martèle Tal à près de 2  millions de téléspectateurs. « J’ai la légitimité de mes paroles.
Mon grand-père a survécu à la Shoah. Lorsqu’il me parlait de cette période terrible, de la mort de ses frères et sœurs, de la famine et des maladies, un mot revenait sans cesse dans sa bouche : le silence. Le silence écrasant de ses voisins, conscients de ce qui se passait mais qui se sont tus. Mon activisme est motivé par cette phrase, en boucle dans mon esprit.
Je ne serai jamais comme ces voisins qu’il me décrivait ! Je ne resterai pas silencieuse devant la barbarie humaine envers les animaux ».

60% des télespectateurs de « Big Brother » ont changé leur alimentation grâce à Tal Gilboa

Son témoignage fait écho aux déclarations d’écrivains et de survivants de la Shoah, devenus végétariens.
Isaac Bashevis Singer, auteur juif et prix Nobel de littérature en 1978, a été l’un des premiers à faire cette analogie dans sa nouvelle The Letter Writer  : « Dans les relations avec les animaux, tous les gens sont des nazis. Pour les animaux, c’est un éternel Treblinka ».
Mais la comparaison ne s’arrête pas là, les similitudes sont régulièrement mises en avant par les militants : des tatouages au mode de transport vers les abattoirs jusqu’à la mise à mort de masse et au rôle des bourreaux. Depuis qu’elle a quitté « Big Brother », Tal s’est installée à Kfar Saba, à une heure de Tel-Aviv, dans un quartier résidentiel où ses six chiens cohabitent avec sa petite famille.
« Mes voisins me détestent », sourit-elle en pointant du doigt les photos géantes d’animaux ensanglantés prises dans les abattoirs, qui s’affichent sur plusieurs mètres le long de sa clôture.
Selon un sondage réalisé par  Globes, un journal économique israélien, 60 % des téléspectateurs de « Big Brother » ont changé leur alimentation grâce à Tal Gilboa et plus de 80 000  personnes ont entamé un régime strictement végan.

Une gastronomie qui évolue

Mais pourquoi le véganisme est-il aussi bien accueilli dans ce petit pays du Proche-Orient ? Pour Ori Shavit, journaliste culinaire, blogueuse et chantre du véganisme, il y a plusieurs raisons : « D’abord Israël est un pays très jeune, composé d’immigrants qui ont des traditions culturelles variées. La gastronomie du pays n’est pas figée, ancrée comme en France par exemple, elle évolue très vite.
Et ici c’est la “start-up nation”, l’innovation, la nouveauté coulent dans nos veines. Enfin, je pense que le fait que nous soyons un tout petit pays aide à la circulation rapide de l’information ».
Shai Alfia, Israélien installé à Paris et végan depuis cinq ans, ajoute que « la cuisine israélienne est basée sur de nombreux mets végans, comme le falafel, le houmous ou la crème de sésame. Ajoutez les légumes frais, l’huile d’olive et les céréales qui constituent notre alimentation quotidienne, méditerranéenne, on est à fond dans le véganisme.
Et, bien sûr, l’alimentation végane est compatible avec la cacherout, le code alimentaire prescrit aux Juifs religieux. Enfin, la religion juive exige explicitement un bon traitement des animaux ».

Des uniformes militaires véganisés

Et ce bon traitement ne se limite pas à l’élevage : depuis peu, Tsahal, l’armée israélienne, propose à ses soldats des menus adaptés, mais aussi des uniformes véganisés.
Mais alors, dans un pays déchiré par les guerres, où le conflit israélo-palestinien est présent partout, un tel engagement en faveur des animaux ne semble-t-il pas futile ? Voire provocateur ?
De nombreux végans accueillent l’objection avec un sourire et répondent que leur démarche provient d’un profond besoin de s’impliquer dans une cause, éthique et morale, au cœur de ce contexte explosif, et cela même si la question palestinienne reste centrale dans la société juive.

« Les animaux n’ont pas à attendre la résolution du conflit ! »

De plus, une partie des végans, souvent issus des catégories socioprofessionnelles élevées, partagent les idées politiques de la gauche israélienne, fermement opposée à l’occupation. Fait non négligeable, le véganisme gagne aussi rapidement du terrain chez les Arabes israéliens (qui représentent 21 % de la population en Israël).
Sarbal Baloutine, jeune quadra, activiste arabe israélien de Haïfa et adepte du régime depuis 2008, a publié un essai en arabe en 2012 sur la question après avoir inventé le néologisme arabe qui qualifie le véganisme : « khudriya ». C’est peut-être lui qui résume le mieux la situation : « Les animaux n’ont pas à attendre la résolution du conflit ! ».
Source Paris Match
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